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Les navettes spatiales

Les navettes spatiales ont permis à l'Homme de découvrir différemment l'Univers et l'espace qui entoure la Terre...

Date du vol inaugural : 12 avril 1981
Date de fin du programme : 21 juillet 2011
Poussée au décollage : 3,1 MN
Orbite : 185 – 643 km
Masse : 2 046 tonnes
Charge utile (orbite basse) : 24 500 kg

 

 

La navette spatiale américaine constitue à la fois un lanceur et un vaisseau spatial. Son principal avantage est d'être en grande partie réutilisable. Sa construction a été décidée en 1972 (voir détail des dates ci-dessous). Le premier vol a eu lieu du 12 au 14 avril 1981, la première mission en novembre 1982. En 30 ans d'exploitation, ce programme développé par la NASA a conduit à la construction de 6 navettes spatiales. Le dernier lancement d'une navette, Atlantis, a eu lieu le 8 juillet 2011.

 

Caractéristiques techniques

L'élément principal de la navette est l'orbiteur. En forme d'avion à aile delta, il est long de 37 m et possède une envergure de 24 m. Son fuselage comprend à l'avant une cabine pour l'équipage (jusqu'à 7 astronautes), au centre une vaste soute de 4,5 m de diamètre et de 18 m de longueur, pouvant accueillir des charges utiles d'une masse allant jusqu'à 29,5 t, et, à l'arrière, les trois principaux moteurs-fusées de l'engin et deux moteurs de manœuvre. Sa masse « à sec » (réservoirs vides et sans charge utile) est de 68 t.

Description du lanceur. Ce véhicule spatial est conçu pour des missions en orbite basse (environ 300 km d'altitude) et peut revenir se poser au sol comme un avion. Mais il ne peut aller seul dans l'espace : au décollage lui sont adjoints deux propulseurs auxiliaires à propergol solide (chacun contient 500 t de propergol) et un énorme réservoir extérieur de 47 m de long et 8,4 m de diamètre, non réutilisable, contenant 703 t d'hydrogène et d'oxygène liquides, pour l'alimentation des moteurs principaux. Pour les lancements vers l'orbite des satellites géostationnaires (ou d'autres trajectoires lointaines), la navette doit embarquer dans sa soute un propulseur supplémentaire.

 

Les six navettes spatiales américaines

Outre le véhicule Enterprise, qui effectua en 1979 les premiers essais d'atterrissage en vol plané, 5 orbiteurs ont été construits : Columbia, qui accomplit les premiers vols dans l'espace, en 1981, et qui s'est désintégrée lors de sa rentrée atmosphérique, le 1er février 2003, au terme de sa 28e mission ; Challenger, qui explosa en vol le 28 janvier 1986 ; Discovery ; Atlantis ; et Endeavour (inauguré en 1992 pour remplacer Challenger).

"Les six navettes spatiales américaines"

 

Exploitation de la navette spatiale américaine

À l'origine, la navette américaine était conçue comme un mode de transport universel. Ses promoteurs pensaient qu'elle se substituerait aux lanceurs classiques et assurerait toutes les mises en orbite de satellites ; misant sur la capacité supposée des orbiteurs à revoler rapidement, ils prévoyaient, en effet, une baisse substantielle des prix de lancement : les prévisions visaient 50 lancements par an, chacun évalué à 40 millions de dollars (valeur 2010). La réalité a été très différente.

En raison de la fréquence des pannes ou des incidents observés et des modifications apportées aux équipements, le nombre annuel moyen de lancements ne dépasse pas cinq à six (le 100e vol n'a eu lieu qu'en octobre 2000) et le coût d'exploitation est resté très élevé. En effet, le prix de chaque lancement s'élève à 1,5 milliards de dollars et, en comptant les coûts de développement, l'ensemble des 40 ans de programme atteint la somme de 192 milliards de dollars, soit plus que le projet Apollo, évalué à 170 milliards.

Par ailleurs, la navette s'avère mal adaptée à la mise en orbite de satellites géostationnaires. Elle s'est vu ainsi fermer le marché très compétitif du lancement des satellites commerciaux, notamment avec l'arrivée des lanceurs européens Ariane dès les années 1980, et son emploi a été, en fait, réservé pour des missions militaires ou scientifiques.

Cependant, la navette spatiale américaine a permis de réaliser de véritables prouesses technologiques, comme la réparation du télescope spatial Hubble en 1993 ou encore la construction de la Station spatiale internationale (ISS) qui n'aurait pu être menée à son terme sans les capacités des navettes à acheminer en orbite des structures de plusieurs tonnes. Si la desserte et l'exploitation de l'ISS ont assuré la survie de la navette, l'accident de Columbia l'a clouée au sol pendant plus de 29 mois et a hâté sa « mise à la retraite » en juillet 2011.

De 1981 à 2011, les navettes spatiales américaines ont effectué 135 vols véhiculant 356 astronautes de 16 pays différents (14 ont perdu la vie).

 

Les autres projets de navettes spatiales

L'U.R.S.S. a construit également une navette spatiale. Celle-ci a été testée lors d'un vol entièrement automatique, en 1988, puis abandonnée. Elle se réduisait à un orbiteur, Bourane (mot russe signifiant « tempête de neige »), analogue aux orbiteurs américains à une différence notable près : doté seulement de moteurs de manœuvre et de contrôle d'attitude, il se comportait au décollage comme une charge utile passive, accrochée à un lanceur très puissant, Energia.

Le Japon s'est lancé également dans les années 1980 dans la mise au point d'une petite navette entièrement automatique Hope-X. Après des vols d'essais prometteurs d'un modèle réduit en 2003, le projet a été finalement abandonné.

L'Agence spatiale européenne, après avoir engagé en 1987 puis abandonné en 1992 (pour des raisons budgétaires) le projet de véhicule spatial récupérable Hermes, a décidé en 1994 la réalisation d'une capsule spatiale expérimentale, ARD (Atmospheric Reentry Demonstrator), qui constitue une première étape sur la voie de la construction d'un véhicule de transport d'équipages. Ce démonstrateur a été testé en 1998 lors du troisième vol de qualification du lanceur Ariane 5. Cependant, il ne devrait pas avoir de successeur, l'Agence spatiale européenne ayant renoncé à ses projets de véhicule de sauvetage d'équipage (CRV) et de véhicule de transport d'équipage (CTV).

Parmi les nombreux projets privés, pour la plupart abandonnés ou toujours en phase de conception, l'avion expérimental SpaceShipOne a effectué en 2004 des vols au-delà de l'atmosphère terrestre, à plus de 100 km d'altitude. En 2014, le crash de SpaceShipTwo lors d'un vol d'essai cause la mort de l'un des pilotes et compromet l'avenir du tourisme spatial.

"véhicule spatial récupérable Hermes de l'ESA"

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1981-2011: du premier vol de Columbia au dernier vol d'Atlantis, les dates marquantes du programme des navettes de la Nasa

5 janvier 1972 : le président Richard Nixon donne son feu vert au projet de vaisseau spatial réutilisable proposé par les ingénieurs de la Nasa.

17 juin 1977 : mise en service d'un prototype, Entreprise, qui ne vola jamais dans l'espace. Il est utilisé pour mener des tests, notamment pour l'atterrissage. Elle est exposée au Musée de l'air et de l'espace de Washington et sera déménagée à l'Intrepid Sea, Air and Space Museum de New York (pour faire de la place à une autre navette).

12 avril 1981 : premier lancement d’une navette spatiale Columbia, 20 ans jour pour jour après le vol de Iouri Gagarine.

4 avril 1983 : premier vol de Challenger, seconde navette mise en service.

Février 1984 : Brue McCandless et Bob Stewart réalisent la première sortie dans l’espace libre, sans attache avec la navette.

30 août 1984 : premier vol de Discovery, troisième navette mise en service.

3 octobre 1985 : premier vol d’Atlantis, 4ème navette mise en service.

28 janvier 1986 : la navette Challenger se désintègre au décollage en direct à la télévision, 73 secondes après son décollage, tuant 7 astronautes. La rupture d’un joint sur un propulseur est la cause de l’accident : du gaz chaud a mis le feu aux réserves de carburant.

Octobre 1989 : Atlantis lance la sonde européenne Galileo, qui explore Jupiter et ses lunes de 1995 à 2003.

24 avril 1990 : Discovery décolle, emportant le télescope Hubble avec elle. D’autres missions auprès du célèbre télescope spatiales ont été nécessaires pour lui donner toute sa vision : en décembre 93, février 97, décembre 99 et mars 2002.

7 mai 1992 : premier vol de la navette Endeavour, la dernière mise en service.

3 février 1995 : pour la première fois une femme, Eileen Collins, pilote une navette (Discovery).

6 février 1995 : premier « rendez-vous » d'une navette, Discovery, avec la station russe Mir. La rencontre des deux équipages marque le début de la coopération entre les deux puissances spatiales.

Novembre 1996 : record du plus long vol de navette par Columbia, avec 17 jours et 15 heures.

7 décembre 1998 : début de l'assemblage de la Station spatiale internationale (ISS) avec l'amarrage du module américain Unity, acheminé par Endeavour, à Zarya, module russe mis sur orbite 15 jours auparavant.

1er février 2003 : La navette Columbia se désintègre en rentrant dans l’atmosphère. L’enquête démontrera que des tuiles du bouclier thermique avaient été abîmées au décollage par des morceaux d’isolants décollés du réservoir externe. Les navettes sont clouées au sol pendant 2 ans et demi.

Juillet 2006 : Return to Flight. Le lancement de la navette Discovery marque la reprise des vols après l’accident de Columbia.

11 février 2008 : l'Europe intègre l'ISS avec son laboratoire Columbus acheminée par Atlantis, avec à son bord le Français Léopold Eyharts.

11-24 mai 2009 : Atlantis part avec 7 astronautes à bord pour aller réparer une dernière fois le télescope spatial Hubble. Après l’accident de Columbia cette mission avait été déprogrammée puis finalement rétablie face à la levée de bouclier de la communauté scientifique.

12 février 2010 : Endeavour achemine les derniers éléments construits par la NASA pour l'ISS, quasiment terminée.

9 mars 2011 : retour de la navette Discovery, partie pour sa dernière mission. La navette prend sa retraite. Elle sera exposée au Udvar-Hazy Center du Musée national de l'Air et de l'Espace à Washington.

1er juin 2011 : retour sur Terre d’Endeavour, qui accomplissait sa dernière mission. La navette sera exposée au California Science Center, à Los Angeles.

Juillet 2011 : 135ème et dernier vol d'une navette spatiale Américaine avec Atlantis.

 

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Une heure de descente vertigineuse avant l'atterrissage

Pour revenir sur Terre, la navette spatiale effectue une descente dont voici les principales étapes :

Une heure avant l'atterrisage (T -60 minutes) : les manoeuvres de désorbitage débutent avec le "Go" du centre de contrôle de mission à Houston. Le commandant de bord met à feu pendant quatre minutes des mini-fusées de contrôle directionnelle pour commencer à réorienter la navette et la faire descendre sur une orbite inférieure à son altitude de mission (280 kilomètres pour Columbia).

T -32 minutes et 14 secondes : la navette se trouve à 122 km d'altitude et encore à plus de 8 500 km de la Floride. Elle voyage à 27 400 km/h. C'est la phase dite d'"interface" : le vaisseau commence à rencontrer les premières couches de la haute atmosphère et ralentit sous l'effet de la friction de l'air. Le taux de descente de la navette est alors phénoménal : 9 kilomètres par minute ! La navette commence sa transition. D'un vaisseau spatial, elle devient planeur. Le plongeon dans l'atmosphère se poursuit, ventre face à la Terre, nez cabré à 40 degrés. Cet "angle d'attaque" est crucial. En effet, au-delà, la navette "rebondirait" sur la couche d'atmosphère, telle une pierre ricochant sur un plan d'eau. En deçà, elle risquerait de prendre trop de vitesse et de surchauffer. Dans les deux cas, la moindre erreur serait fatale.

T -28 minutes et 42 secondes : à Mach 25 et à 85 km d'altitude, les quatre "élevons" à commande hydraulique commencent à devenir efficaces. Situés sur le bord arrière des ailes, ces surfaces de contrôle (équivalent des ailerons sur les avions) vont permettre à la navette de débuter une série de grands virages à 60 degrés d'inclinaison pour dissiper une partie de son énergie cinétique. Les mini-fusées directionnelles qui contrôlaient jusque-là la stabilité de la navette sont désactivées.

T -26 minutes et 56 secondes : l'ordinateur de vol débute le premier d'une série de larges virages en enfilement gauche droite. L'objectif est de ralentir la navette, sans avoir à rabaisser le nez, tout en augmentant le taux de descente.

T -26 minutes et 4 secondes : la navette est toujours en vol hypersonique, à Mach 19. Les frictions de l'air sur le ventre de la navette atteignent leur maximum. Les tuiles en alliage composite qui composent le bouclier thermique subissent leur plus forte élévation de température (environ 1 650 degrés Celsius).

T -16 minutes : c'est le moment où Columbia s'est désintégrée samedi. Selon la Nasa, elle se trouvait à 61 km d'altitude à 2 254 km de la Floride. Sa vitesse était de 21 252 km/h (environ Mach 19). Elle était en train d'effectuer un virage et était inclinée à 57 degrés.

T -12 minutes : l'angle d'attaque décroît. Le frein aérodynamique, incorporé dans la gouverne de direction à l'arrière, est déployé à 81 %.

T -10 minutes et 33 secondes : la navette file à Mach 7,3 (environ 10 000 km/h) à une altitude de 43 km. La navigation inertielle est abandonnée et le guidage se fait désormais par balise de radionavigation (comme pour les avions).

T -8 minutes et 44 secondes : la vitesse diminue à Mach 5. La navette, qui se trouve à 36 km d'altitude, devient parfaitement contrôlable.

T -3 minutes et 57 secondes : à 14 km d'altitude, la navette passe sous le mur du son (Mach 0,9). Le pilote engage la phase finale d'approche en alignant la navette sur la trajectoire désirée, au moyen d'un long virage à 360 degrés. C'est la dernière occasion pour le commandant de bord d'ajuster le profil de descente, au besoin en effectuant de petits virages.

T -1 minutes et 31 secondes : à 4 500 mètres d'altitude, la navette a achevé son virage final et file vers la piste à la vitesse de 518 km/h. Le pilote aperçoit la piste d'atterrissage à 10 km de là. La navette plane vers la terre, suivant une pente d'approche de 18 à 20 degrés (3 degrés pour un avion civil).

T -33 secondes : à 600 mètres d'altitude, la navette commence à cabrer le nez pour la dernière manoeuvre de freinage aérodynamique. Vitesse 555 km/h.

T -20 secondes : à 100 mètres d'altitude, le train d'atterrissage est sorti. S'il ne sort pas, pas de remise des gaz possible. La navette devra se poser sur le ventre.

T -10 secondes : la navette franchit le seuil de la piste d'atterrissage à la vitesse de 480 km/h.

T : contact. Les freins aérodynamiques sont déployés au maximum, suivis du parachute en-dessous de 350 km/h. Les freins sont appliqués et la navette s'immobilise généralement en 3 000 mètres.

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28 janvier 1986... l'explosion de Challenger

Il faisait froid ce matin du 28 janvier 1986 en Floride. Très froid. Pendant la nuit, la neige s'était amoncelée sur le pas de tir du centre spatial Kennedy, où la navette Challenger attendait ses occupants. Pendant la nuit, la température était descendue bien au-dessous de zéro. Les astronautes arrivèrent sur le pas de tir à 8 heures du matin et s'installèrent dans leurs sièges.

Le décollage était à l'origine prévu pour 9 h 38 (heure locale), mais une première, puis une seconde heure de décalage furent décidées, pour laisser à la neige le temps de fondre. On craignait que des blocs de glace ne se détachent des structures du pas de tir au moment du décollage et n'endommagent les fragiles tuiles isolantes qui recouvrent la navette et lui permettent de résister à l'intense échauffement que produit son entrée dans la haute atmosphère, au retour des missions. Mais personne n'émit la moindre crainte quant aux effets du froid sur le fonctionnement des moteurs ou des propulseurs.

C'est donc finalement à 11 h 38 que le décollage eut lieu, et que commença la mission 51-L, vingt-cinquième vol d'une navette spatiale. Soixante-treize secondes plus tard, la mission prenait fin dans une énorme boule de fumée blanche, légèrement orangée. Le plus grand drame de l'ère spatiale venait de se jouer.

Ils étaient sept, hommes et femmes, à bord qui périssaient dans la catastrophe. Francis (Dick) Scobee commandait la mission, avec Michael Smith comme co-pilote. Trois ingénieurs de bord (spécialistes de mission) les assistaient : Ellison Onizuka, Judith Resnik, Ronald McNair. Leur tâche était aussi de mettre en orbite le satellite TDRS-B, gros relais de communication permettant aux navettes de communiquer avec les centres de contrôle, même quand elles n'en étaient pas en vue directe.

Les deux derniers astronautes étaient Gregory Jarvis, chargé pour le compte de la firme Hughes Aircraft de procéder à des études de physique des fluides en apesanteur, et Christa McAuliffe. Cette dernière, professeur d'histoire dans le New-Hampshire, avait été sélectionnée parmi onze mille enseignants pour participer à cette mission, en rédiger un journal de bord, et faire depuis l'espace deux conférences : l'une décrivant les conditions de vie à bord de la navette ; l'autre exposant les raisons et les avantages de la conquête spatiale. Deux cours qui seraient retransmis en direct par les télévisions et diffusés dans les écoles américaines. La mission de Challenger était, plus encore que celles qui l'avaient précédée, une grande opération médiatique. Ce qui devait multiplier l'impact de la catastrophe.

"28 janvier 1986... l'explosion de Challenger"

 

Des mois d'enquête

Houston : "Challenger, puissance maximum." Smith : "Bien reçu, les gaz à fond." Silence de quelques secondes. Puis la voix du commentateur de la NASA : "Les contrôleurs de vol étudient de très près la situation. Manifestement, un grave problème est arrivé. Nous n'avons plus de communication (avec l'équipage)."

Ces derniers mots du dialogue entre l'équipage et le sol disent bien la brutalité de l'événement. Les astronautes n'ont rien vu venir. En écoutant plus soigneusement les enregistrements, on découvrira, après les derniers mots de Smith, une interjection, "Oh! Oh!", dont on ignore la signification.

Quelles furent les dernières secondes des astronautes ? On l'ignore. L'enquête qui suivit a montré que, si la navette proprement dite, l'orbiteur, fut désarticulée par l'explosion de l'énorme réservoir d'oxygène et d'hydrogène liquide sur lequel elle était fixée, l'habitacle des astronautes a probablement résisté et ne s'est brisé que lors de sa chute, quelques minutes plus tard, dans l'océan Atlantique. Les astronautes se sont-ils vus, impuissants, tomber vers une mort certaine ? C'est peu probable. Il est douteux que l'habitacle soit resté étanche. A l'altitude de 20 kilomètres où ils étaient lors de l'explosion, la brutale décompression leur aura fait perdre connaissance et leur aura évité une pénible agonie.

Quelle était la cause de l'explosion ? On le découvrit très vite, même s'il fallut des mois d'enquête approfondie pour faire de cette hypothèse une certitude. Un des joints qui relient les différents segments des propulseurs à poudre n'avait pas tenu, avait perdu son étanchéité. Une flamme était sortie, dès les premières secondes du vol, d'un interstice entre deux segments du propulseur droit. Elle avait peu à peu rongé l'attache métallique qui fixait le propulseur sur le réservoir externe. Au bout d'un peu plus d'une minute, l'attache avait cédé. Le propulseur, n'étant plus maintenu, avait pivoté, percutant l'énorme réservoir et provoquant l'explosion des sept cents tonnes d'hydrogène et d'oxygène liquides qu'il contenait.

Brutal, imprévu, l'accident était-il imprévisible ? La première réaction de la NASA fut de le suggérer. Mais l'information vint très vite. On savait depuis des mois que les joints étaient un point faible et que le froid n'arrangeait rien. Dix jours après la catastrophe, le New York Times publiait un rapport écrit par un analyste de la NASA, en juillet 1986. Il indiquait que la carbonisation, observée après les vols, des deux joints qui assurent l'étanchéité entre les segments des propulseurs "pose un problème majeur qui affecte à la fois la sécurité des vols et le coût du programme". Or un responsable de la NASA venait de déclarer à la commission d'enquête nommée par le président Reagan : "Nous n'avons jamais observé de détérioration sur le deuxième joint."

Cela conduisit la commission d'enquête, présidée par l'ancien secrétaire d'Etat William Rogers, et dont le vice-président était Neil Armstrong, premier homme à avoir marché sur la Lune, à demander communication de tous les documents existants.

 

Sanctions

On découvrit alors d'autres rapports alarmants sur la tenue des joints. On découvrit surtout que, quelques heures avant le tir, M. Allan McDonald, ingénieur de la firme Morton-Thiokol qui fabrique les propulseurs d'appoint, avait tenté à plusieurs reprises d'attirer l'attention sur le risque couru, sans parvenir à joindre les responsables du lancement. Il craignait que les températures très basses de la nuit précédant le tir n'aient provoqué un rétrécissement des joints et une perte d'étanchéité. Ce qui était, hélas, le cas. Un membre de la commission d'enquête, analysant alors le processus qui conduisait aux décisions de lancement, le jugea "terrifiant".

Les sanctions allaient alors tomber. Plusieurs hauts responsables de la NASA étaient écartés. L'administrateur de l'agence, M. James Beggs, démissionnait le 25 février il était depuis trois mois en congé sans solde pour pouvoir se défendre de l'accusation de fraudes commises quand il était, entre 1978 et 1981, directeur de la firme General Dynamics. Il devait être remplacé plusieurs mois après, par M. James Fletcher, qui avait déjà dirigé la NASA de 1971 à 1977.

Finalement, la commission d'enquête publiait, le 9 juin, un volumineux rapport. Celui-ci analyse en détail les circonstances de l'accident, ses causes, les déficiences dans l'entretien des navettes, le manque de rigueur dans les prises de décision. Il se termine par un ensemble de "recommandations" sévères.

Pour ce qui est des joints, on repart de zéro. De nouveaux joints doivent être étudiés, testés et vérifiés, le tout sous contrôle du Conseil national de la recherche. Les essais doivent être faits dans des conditions qui ressemblent le plus possible à celles des tirs réels. La commission souhaite même des mises à feu de propulseurs en position verticale, ce qui crée une grosse difficulté : sur les bancs d'essai, les propulseurs sont horizontaux, et la construction de nouvelles installations serait très longue.

La question du programme navette doit être entièrement revue, avec une plus claire définition des responsabilités et une plus grande participation des astronautes à la prise des décisions.

La recommandation la plus lourde de conséquences est celle qui concerne le rythme des vols : "La dépendance de la nation envers la navette comme principal moyen de lancement crée sur la NASA une implacable pression en vue d'accroitre le rythme des tirs. Cette dépendance d'un seul moyen de lancement doit être évitée pour l'avenir. La NASA doit établir un rythme de vols en rapport avec ses possibilités."

Cette phrase était la condamnation du "tout navette ", on pourrait presque dire du "tout NASA". L'agence spatiale a toujours voulu garder un contrôle aussi complet que possible sur l'ensemble des activités spatiales. ce qui lui valut dans le passé des disputes homériques avec le Pentagone. Après la conquête de la Lune et les succès brillants du programme Apollo brillants mais coûteux, et sans retombées directes dans une Amérique des années 70 en proie au doute (le Vietnam), et où l'état d'esprit dominant, marqué de préoccupations écologiques n'était vraiment pas favorable aux grandes aventures technologiques, la NASA dut, pour obtenir le financement du programme navette, se livrer à un vertigineux exercice d'équilibrisme politique et technique.

Côté technique, il fallut faire une suite de paris audacieux, en renvoyant constamment ! 24; plus tard des études et essais qu'on ne pouvait encore financer. On se souvient qu'entre 1977 et 1979 les futurs moteurs de la navette explosaient avec une belle régularité et que leur mise au point fut beaucoup plus longue que prévu, parce que des études indispensables n'avaient pu être entreprises avant leur construction.

 

Le gros dos...

Au plan politique, la NASA persuada le gouvernement américain et tenta vainement d'en faire autant de ce côté-ci de l'océan que les fusées "consommables", qui ne servaient qu'une fois, étaient complètement dépassées, et que des navettes réutilisables réduiraient énormément les coûts. Les Etats-Unis abandonnèrent le développement de nouveaux lanceurs et la construction de ceux alors en service. Cela devait faire la fortune d'Ariane, à qui nul augure ne prévoyait alors un si bel avenir.

Tous les spécialistes considéraient que les affirmations de la NASA étaient outrancières. Tous savaient que les quatre navettes dont elle se dotait, parce qu'elles étaient les joyaux d'une technique d'ultra-pointe, ne seraient jamais que de grands oiseaux fragiles, et qu'à terme un accident grave était inévitable. Si l'explosion de Challenger n'avait tué "que" quelques pilotes d'essais professionnels, testant un engin d'avenir qui concurrencerait et supplanterait à terme les lanceurs en service, elle n'eût pas été un drame national. Mais détruire en vol "le" lanceur américain, en pulvérisant la malheureuse enseignante qui devait décrire les beautés de l'espace à tous les enfants du pays, était une faute que la NASA devait payer cher.

La suite était inévitable. Le président Reagan décidait en août de confier au secteur privé le lancement des satellites commerciaux, la NASA n'ayant plus le droit de prendre des commandes nouvelles. Le Pentagone recevait l'autorisation de faire construire de nouvelles fusées Titan et tentait d'élargir son domaine d'influence aux dépens de la NASA comme l'a montré récemment son intervention dans les négociations menées par celle-ci avec l'Europe, le Canada et le Japon, sur l'utilisation de la future station spatiale.

Les concurrents étrangers profitaient de l'occasion. Malgré un an d'interruption des tirs à la suite d'un échec d'Ariane en mai 1986, la société Arianespace recevait dix-huit commandes cette même année, soit le double de ce qui était enregistré les années précédentes. De leur côté, l'Union soviétique et la Chine se proposaient pour lancer des satellites étrangers, tandis que le Brésil envisage de construire des lanceurs. Un contrat vient d'ailleurs d'être signé pour le lancement en 1988 du satellite américain Westar-6 par une fusée chinoise Longue-Marche-3.

La NASA ne peut que faire le gros dos. Elle fait construire de nouveaux propulseurs plus fiables, et a obtenu que soit commandée une nouvelle navette. Elle a annoncé une reprise des missions par un vol de la navette Discovery en février 1988. Mais les membres du Conseil national de la recherche qui doivent superviser les essais sont sceptiques quant au respect de cette date, comme l'est Fredrick Hauck, commandant de bord désigné pour ladite mission.

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